Lettre à Colette,

« Trouver, chercher, tourner, aller autour : oui, ce sont des mots indiquant des mouvements mais toujours circulaires. Comme si la recherche avait pour sens de s’infléchir nécessairement en tournant. Trouver s’inscrit sur cette grande voûte céleste qui nous a donné les premiers modèles du mouvant immobile. »
Maurice Blanchot, L’entretien infini

Si je donnais une origine à mon intérêt pour la terre, je dirais qu’il date de notre rencontre. Vous aviez ce qui ne s’apprend ni dans les livres ni dans la technique, prend forme dans le désir et la spiritualité. Vous donniez à votre art un sens qui se découvre au fil de la vie, vous en aviez une fois pour toutes choisi la direction, « Au fil de l’argile ».
Dans la solitude, avec passion et persévérance, avec générosité et colère, je vous ai vu transformer cet atelier des Lacs en maison chaleureuse, hospitalière, où les livres et les œuvres prenaient place. Les uns et les autres ont fini par se rencontrer et presque se confondre. La lettre est devenue partie intégrante de vos œuvres, délivrant un message bien au-delà de sa signification ou du signe qu’elle représentait. L’écriture devenait chaîne d’humanité. 
Dans votre goût pour l’écriture et la transmission, vous avez publié ces mémoires d’argile, et si cela n’a pas été dit, je voudrais ici vous rendre cet hommage : vous avez été cheville ouvrière, créatrice et visionnaire, à l’origine de ces empreintes d’écriture qui, dans la céramique contemporaine, ont traversé les œuvres de terre,. Si les premiers messages humains inscrits sur des tablettes, puzzle de pierres et de grès, racontaient en signes et images l’histoire de l’humanité, vous en avez renouvelé et répandu le message, exprimant le présent et le futur de notre culture, voulant rendre la page et l’homme porteur d’un message universel. 
Nombre d’élèves céramistes vous ont suivie, oubliant parfois que ce moment de cristallisation vous appartenait. Par cette démarche vous vous appropriiez le passé et donniez aux grés de la Puisaye un tournant sculptural. 
Vous avez exprimé votre sens profond de l’humain dans des représentations de plus en plus fantastiques. Dans Kwaidan, le film du réalisateur japonais Kobayashi, de 1964, l’un des contes a pour titre « Dans un bol de thé » : un samouraï voit l'image de l'homme qu'il doit combattre dans le futur, chaque fois qu'il consomme un bol de thé ; ou encore « La femme des neiges « : deux bûcherons endurent le sort qu'une femme mystérieuse a décidé pour eux. Les corps de ces personnages sont recouverts d’écriture. 
Vous avez été cette potière du contenant, en lutte avec elle-même, et cette femme affrontant, solitaire, la rigueur des hivers de la Puisaye. Vos sculptures m’ont toujours ramenée à cette vision « d’un troisième type ».
Qu’aviez-vous à combattre ? D’abord les pages, puis les livres et les hommes, les fragments de corps, ont donné à votre art une réalité humaine, sociale et politique.
 
Les petits hommes écrits puis bleus, furent un projet pour l’image de la communauté européenne. L’événement n’a pas eu lieu, les corps se sont parfois altérés, ont été marqués de vos déceptions, sont devenus fragments de corps sans lien, seulement celui de notre imaginaire.
Vous aviez fait une œuvre de pièces volontairement cassées et reconstituées, comme pour décrire les douleurs et les réconciliations. 
J’ai acquis et perdu dans la tempête des années 2000 beaucoup de vos œuvres. J’en ai gardé les tessons tels des objets archéologique dont j‘ai aimé la sensualité et le message.

Je retiens de vous ces magnifiques chaudrons que vous présentiez dans le four de la maison du Chanoine et cette œuvre magique de 9 cubes de grés blanc, tachés d’ocre. Montés à la plaque, entièrement gravés d’écriture et de signes, enfumés, ils sont une synthèse de ce que vous avez cherché et créé, le message que vous nous laissez. Leur sens va bien au-delà du regard.  Vous en faisiez l’héritage d’une humanité, qui tentait dans ses différences de se rapprocher et se comprendre. Une œuvre aussi bavarde que silencieuse.
Au fil du temps, dans la maison du Chanoine au Chesnay où j’ai découvert votre travail, puis au couvent de Treigny, vous avez eu une extraordinaire qualité pour découvrir des talents, les inviter à exposer dans cette association de la Puisaye. J’y ai rencontré Silvia Zotta, une jeune céramiste argentine pleine d’idées, d’espoirs, d’énergie, qui eut en 2003 un premier prix de céramique international à Faenza, trop jeune arrachée à la vie. 
Ces dernières années, j’ai manqué à nos rendez-vous mais l’impulsion que vous avez donnée à cette région et à l’association des céramistes de la Puisa, reste un feu vivant et une échappée libre, « le souffle énigmatique de la vie ».

Danielle Cohen
catalogue Colette Biquand, sculpteur d’argile, couvent de Treigny, 2018 

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